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La |femme de Djha

plus rusée que le diable !
Aceval, Nora (1953-....) Auteur du texte
Collection :
Nouvelles du Maghreb
Nouvelles du Maghreb
Nouvelles du Maghreb [Texte imprimé]
Année de parution :
2013
1 vol. (114 p.) : ill., couv. ill. : 21 cm
Dans l’espace méditerranéen et le monde arabo-musulman, il est un personnage hautement facétieux, multiple, sans cesse raconté aux couleurs locales. On le nomme Djha en Algérie ! Pour autant, derrière les innombrables anecdotes que l’humour populaire a retenues de ce rusé parfois ingénu, il y a une femme, sa femme, Mart-Djha. Son double féminin. C’est elle l’objet de ce recueil qui se propose de la restituer telle son ombre tutélaire dans une société où il était de bon ton de demeurer dans le registre strict de règles non écrites, où la bienséance s’alimente aux sources de la bigoterie la plus étouffante.
Nora Aceval

Djha reconnaît l’intelligence singulière de sa femme, sa perspicacité, son inventivité. Ils sont solidaires, complices dans la transgression des règles sociales, des conventions et même des rites religieux. L’un et l’autre jouent de l’inversion des rôles masculin, féminin.
« Elle commande à Dieu et au Diable. »
Leïla Sebbar




Lorsque mon père nous racontait des histoires de Djha, ses folies clairvoyantes, ses ruses de pauvre contre les puissants, ses facéties excentriques qui font entendre une sagesse universelle, des histoires brèves satiriques que nous écoutions avec d’autant plus de respect et d’attention, qu’il était rare que mon père nous dise ainsi des contes de son peuple, dans ces moments-là, exceptionnels, la voix de mon père changeait, comme les gestes de ses mains et surtout, mon père riait, il riait, un rire roulé, heureux, complice de Djha, on attendait ce rire qui ponctuait les actes et les paroles de Djha dont nous ne comprenions pas toujours combien il était comique.
Lorsque j’ai rencontré Nora Aceval, la conteuse des Hauts Plateaux algériens, notre pays natal, et que je l’ai entendue raconter en public ou au téléphone des histoires de Djha, c’était le rire de mon père, joyeux et clair.
Nora m’a fait découvrir, par les femmes de sa tribu, ces contes libertins du Maghreb qu’elle dit, dans son habit des Hautes Plaines, avec tant de grâce.
Et cette fois, c’est à la femme de Djha que Nora Aceval offre le rôle principal, alors qu’elle n’apparaît qu’en figurante dans les recueils traduits en français et publiés. Sa collecte auprès des hommes et des femmes du Maghreb contemporain est fructueuse. Qui se doutait que « Mart-Djha », la femme de Djha, est l’héroïne de tant de contes ?
Qui se doutait que la femme de Djha est plus rusée que lui et qu’elle révolutionne en douceur le statut de la femme musulmane ?
Nora Aceval propose avec ce nouveau livre un ensemble inédit, significatif, qu’il faut lire absolument même si on croit tout connaître de Djha.
Et d’abord, ce qui frappe jusqu’au lecteur averti, c’est la liberté que s’accorde la femme de Djha.
La première liberté, exhiber son sexe au regard horrifié de Djha. Un sexe velu, repoussant. Djha serait-il vierge ? En principe, c’est l’épouse (la femme de Djha était vieille fille avant son mariage avec lui) qui doit être vierge… On imagine Djha transporté devant le tableau de Courbet, L’origine du monde, il s’enfuirait, comme il s’est enfui de la chambre nuptiale.
Autre liberté qui s’accompagne d’une ruse, conduire son mari accablé par sa vision, là où les hommes ne doivent pas aller lorsque les femmes lavent le linge au bord de l’eau. À la vue des croupes des lavandières, Djha est saisi d’une érection irrépressible… On ne peut s’empêcher de penser, à ce moment du récit, au cas de L’homme aux loups que rapporte Freud dans Cinq psychanalyses : l’émoi érotique d’un patient, émoi provoqué par la croupe d’une jeune bonne agenouillée, brossant le sol, et la croupe d’une jeune paysanne, lavant du linge dans l’étang. Freud aurait été heureux de lire ce conte « Les portes du Paradis », comme les psychanalystes qui le liront aujourd’hui. Sa femme persuade Djha que le sexe des femmes est « l’entrée du Paradis », et c’est ainsi qu’elle le conduit à accomplir le devoir conjugal, ce qu’il refusait jusque là.