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Boire la mer à Gaza
chronique 1993-1996
Hass, Amira (1956-....) Auteur du texte
Année de parution :
2001
583 p. : cartes : 20 cm
Le livre dont il est question ici, « Boire la mer à Gaza », est un recueil d'articles écrits et publiés dans le journal « Haaretz », entre 1993 et 1996 (publication du livre en Israël). Le titre est tiré d'une expression arabe, signifiant familièrement ?va au diable!?. Dans la région, chez les Palestiniens comme chez les Israéliens, on convient généralement, comme l'écrit Sylvain Cypel dans Le Monde du 22 décembre, que ?Gaza, c'est l'enfer?. Ancien port à l'histoire millénaire, c'est aujourd'hui une ville située dans une zone enclave, la ?bande de Gaza? où vivent, outre les citadins, des réfugiés et des colons. Les accords d'Oslo devaient entre autres choses régler la question du ?transfert d'autorité? de l'armée israélienne à l'Autorité palestinienne. Amira Hass apporte ici des témoignages, des entretiens, des choses vues et des mises en regard d'analyses provenant de différentes instances et portant sur plusieurs périodes. À travers des entretiens réalisés avec d'anciens militants devenus aujourd'hui des responsables en vue, elle revient par exemple sur la première Intifada et sur la manière dont ils ont pris la tête du mouvement et imposé des faits accomplis à la direction de l'OLP, que l'exil avait fini par couper du terrain. Ce sont ces jeunes dirigeants locaux, plus militants qu'hommes d'appareil, que Yasser Arafat, faute de pouvoir les contrôler, avait appelés ses ?généraux?. Ailleurs, elle documente les petits faits quotidiens qui témoignaient de l'arrogance et du mépris des soldats d'occupation, lesquels à leur tour ne font que renvoyer à la mauvaise foi stupéfiante des autorités politiques et militaire israéliennes. Elle note aussi les transformations parfois minuscules qui eurent lieu au cours des étapes du transfert d'autorité qui fit suite aux accords d'Oslo et qui indiquent la rapidité avec laquelle on s'acclimate au sentiment de la liberté. Elle marque enfin le grippage originel lié aux points laissés en suspens à Oslo et la pusillanimité d'accords qui laissaient à la mauvaise volonté des Israéliens toutes opportunités de se manifester efficacement (blocage des points de passage, interdiction aux ouvriers travaillant en Israël de passer la frontière, fermeture de l'aéroport, non respect de l'obligation d'établir un corridor avec la Cisjordanie). Pour autant, elle n'épargne pas l'incompétence, pour dire le moins, des dirigeants de l'Autorité palestinienne. Le résultat est que la situation des Gaziotes, en fin de compte, n'a cessé de s'aggraver depuis 1994. Si nous avons en France la chance d'avoir accès à des publications importantes sur le sujet, telles la « Revue d'études palestiniennes », il subsiste une certaine ignorance de l'existence en Israël même d'une authentique dissidence critique relativement à la doxa locale très fortement majoritaire. Il me semble utile de faire entendre ici ces voix qui résistent au système de manipulation qui tend à rendre inaltérable le système de la paranoïa et de l'oppression, sous influence d'institutions politiques et éducatives redoutablement efficaces. Ces voix, longtemps occultées ici par celles, plus emblématiquement paralytiques et tièdement consensuelles, d'un Amos Oz ou d'un David Grossman, commencent heureusement à être connues ici (voir « Le Monde » du 22 novembre 2000 ; voir aussi « Le Monde diplomatique », novembre 2000). Je crois nécessaire d'en proposer un accès de première main et non plus seulement d'ouï-dire. « Boire la mer à Gaza » apporte le témoignage de l'une des nombreuses modalités de la résistance, thème qui reste sensible en France : résistance à la doxa politique et mise en œuvre d'une machine critique à partir d'un déplacement spatial infime du locuteur - de Tel Aviv à Gaza. Il convient ici de rappeler ce qui est devenu déjà légendaire à propos du personnage de l'auteur. Sa mère, sarajévienne et rescapée de Bergen Belsen, lui a raconté, alors qu'elle était enfant, une scène qui s'est gravée dans sa mémoire et gouverne aujourd'hui tout son travail et son engagement politique : descendant du train qui l'amenait au camp, la jeune fille avait aperçu un groupe de femmes qui regardaient le convoi, mi-curieuses, mi-indifférentes. Très tôt, Amira Hass a su qu'elle ne serait jamais de ceux qui restent sur le côté pour regarder. Ce qui signifiait qu'elle serait à l'intérieur, pour partager et témoigner. Amira Hass fait un travail qui, à sa manière journalistique, va dans le même sens que celui des Nouveaux historiens israéliens : c'est un travail de démythification et de réancrage des outils de la pensée dans un monde où l'autre, l'interlocuteur avec qui l'espace est en partage, est bien en vue et non l'objet d'une dénégation répulsive/compulsive. La pertinence de cet effort me paraît devoir toucher non seulement ceux qui s'intéressent au conflit israélo-palestinien, mais de manière plus générale, ceux pour qui les questions que pose la résistance ne sont pas épuisées et ceux pour qui la destinée tragique du peuple palestinien, celle pathétique du peuple juif n'ont rien d'énigmatique ni de divin, mais restent un défi devant lequel il importe de ne pas laisser céder la pensée.