Le quatuor de Cambridge, encore récemment chef de file de tout un courant de rock aventureux, est plongé dans un mutisme surprenant, ne serait-ce qu’à l’aune des publications de ses concurrents. La raison en est simple : Pink Floyd travaille. Alliant nouveautés technologiques et matériel éprouvé, chansons improvisées et titres déjà anciens, le travail de studio s’achève après huit mois de séances intensives, passionnément menées par un groupe au zénith de sa cohésion et de sa complicité. Les paroles, autrefois écrites en commun, deviennent l’apanage exclusif de Roger Waters, une domination qui ne se démentira plus. L’homme, en effet, est parvenu à transcrire ses ruminations sous forme poétique, des ruminations qui ne tarderont pas à être reprises par une génération entière. La musique, elle, est fournie par l’ensemble du groupe. Et quelle musique ! Plus stricte, plus resserrée que par le passé, elle en devient paradoxalement libre, d’une liberté défiant les conventions et les habitudes. Jazz, rock et blues ne signifient plus rien ici, mais font tout de même partie intégrante de l’album. Progressions d’accords inhabituelles et mélodies sophistiquées s’entremêlent avec un naturel qui n’a rien de spontané : Pink Floyd vient d’atteindre l’équilibre suprême, celui entre complexité formelle et accessibilité, et prouve avec une grâce déconcertante qu’une musique exigeante n’est pas obligatoirement hermétique, ou que la pop ne se limite pas forcément à trois accords majeurs accompagnant un refrain accrocheur. Pied de nez suprême à ses contemporains, le groupe refuse même d’apparaître sur la pochette. D’une simplicité compliquée, pouvant faire l’objet d’innombrables interprétations, la couverture reste aujourd’hui comme l’un des symboles les plus reconnaissables des années 1970. Assurément la plus réussie depuis les débuts du groupe, elle complète parfaitement le contenu de l’album, à mi-chemin entre rêverie et menace, folie et tristesse, cruauté et obsession. (Ulyssangus / destination-rock.com)