Portrait du Gulf Stream
Érik Orsenna est écrivain de marine et conseiller d'État. Il préside le Centre de la mer (La Corderie Royale, Rochefort).
Dans ma famille, de tradition catholique, nos prières se devaient de rendre hommage à Dieu (pour l'ensemble de son oeuvre). Mais, tout de suite après, il nous fallait dire notre gratitude au Gulf Stream (pour la chaleur de l'eau et la tiédeur de l'air).
Chaque fois que nous sortions, grelottants, de nos bains glacés de Bretagne, une grand-mère était là pour s'exclamer: "Remercie donc le Gulf Stream! Sans lui, notre mer serait froide."
Et chacune de nos promenades au jardin s'accompagnait de gloussements: "Qu'il se porte bien ce palmier, il me rappelle Alger. Qu'il monte haut cet agave, on dirait Madagascar!"
Au fond, le Gulf Stream nous consolait de la perte de nos colonies. Bien des années ont passé. Et aujourd'hui mon cher Gulf Stream m'inquiète.
Sa santé me préoccupe. Va-t-il un jour, bientôt, comme on le dit, s'arrêter de couler?
Qu'adviendra-t-il de la douceur de nos climats?
Longtemps, j'ai fermé les yeux.
Mais le moment est venu.
Je ne suis pas scientifique. Plutôt promeneur.
Alors, des violents remous du détroit de Floride aux maelströms de Norvège, des rivages fleuris d'Écosse aux abords légendaires de Nantucket, je suis allé, par les chemins de terre ou de mer, rencontrer les savants et les lieux.
Couverture: Carte de l'Amérique, Atlas de J. Blaeu, 1686, Rotterdam, Musée maritime, © G. Dagli Orti.