La compositrice finlandaise Kaija Saariaho s'intéressait depuis longtemps à l'histoire du troubadour Jaufré Rudel, épris en rêve d'une femme qu'il n'a jamais vue, mais dont il apprend, par un mystérieux pèlerin, qu'elle existe vraiment : Clémence, belle et lointaine comtesse en exil à Tripoli, au Liban. Il n'a alors plus de cesse que de la rejoindre, fût-ce au prix de sa vie. Les cinq actes de L'Amour de loin, créé au festival de Salzbourg en 2000, ne ressemblent à un opéra que de très loin ! Sur le style comme sur le fond - pas de conflit sanglant, pas de trahison à venger ni de quiproquo à dissiper -, L'Amour de loin est un opéra à part, un outre-mer musical dissident. Et ce n'est pas le moindre charme de ce vaste « poème opératique » (comme les poèmes symphoniques de Richard Strauss ou de Liszt) que cette altière singularité qui l'oppose aux drames lyriques traditionnels. Pour résumer les deux versants de la musique de Kaija Saariaho : la puissance vampirique de l'orchestre, ses déferlements de couleurs spectrales (dans l'interlude Mer indigo, où de grandes vagues d'accords frappent l'orchestre comme la mer sur les brisants) et l'envoûtement insidieux de ses arabesques mélodiques. Cette nouvelle production audio rend justice à ses sortilèges instrumentaux, aux résonances océaniques de son orchestration. (Télérama/ Gilles Macassar)