"Je ne comprends pas votre pardon". "Je ne vous ai rien pardonné". "Je suis désolé", bougonna le vieillard. "Je n'ai pas besoin d'excuses non plus". Que sont-ils devenus ? En offrant un épilogue au célèbre « Petit Chaperon Rouge », les auteurs osent ce que le conte s'interdit formellement ; ce qui peut se révéler même contre nature et contre-productif à cette forme particulière de récit, hors du temps, hors de notre monde et du réel, dans lequel évoluent davantage des archétypes que des êtres de chair et de sang. Si le jeune enfant aime entendre encore et encore les mêmes histoires (processus indispensable à sa construction), l'adulte lui, a besoin viscéralement de réécrire l'histoire, d'y revenir, de la tordre dans tous les sens, peut-être pour tenter de rationaliser ce qui ne peut l'être. C'est la suite du processus, une façon de donner un sens au mystère. Le Petit Chaperon Rouge a grandi, la quarantaine rayonnante, elle n'a plus rien de la proie innocente et sans défense qu'elle fut naguère dans cette sombre forêt. Maîtresse de son propre destin, elle est pourtant indéfectiblement liée à son ancien tourmenteur, désormais vieux et impotent, à qui elle rend régulièrement visite. Elle le sait et l'accepte. Car accepter, ce n'est pas se soumettre aux événements mais les traverser en agissant. La vie nous réclame d'agir. Telle l'héroïne de sa propre vie, elle va avec détermination à la rencontre de ses ombres, débusquer ses blessures pour les transcender. Tel le phénix qui renaît de ses cendres elle se rapproche ainsi de l'unité du soi, autrefois bouleversée. Dans un langage subtil à décoder, justement parce qu'ils se jouent des codes, les auteurs nous entraînent sur les terres de l'intime. L'illustration est puissante, sombre. On est au coeur de ce bois, notre moi profond, qui demeure à jamais insondable et inquiétant. La seule lumière provient de la chevelure blonde de l'héroïne. Mais la lumière est là. Regis Lejonc est allé jusqu'à donner comme immatriculation à la petite Fiat rouge la classification Aarne et Thomson du Petit Chaperon rouge ! Un livre passionnant à réserver aux plus grands. - Le 20170901, par Emmanuelle Kabala (publié dans La Revue des livres pour enfants)