Aller au contenu principal
Aucun vote pour le moment
Disponible

Auschwitz, 60 ans après

Année de parution :
2005
286 p. : ill., couv. ill. : 22 cm

Dès son arrivée à Auschwitz, Höss [commandant du camp d'Auschwitz dès sa création] s'attaque donc à l'aménagement de "son" camp, ce qui, selon lui, sera toujours sa tâche essentielle. Une tâche infinie, comme le montrent des centaines de photographies des divers chantiers, prises pour rendre compte de l'avancement des travaux.À sa demande, le maire allemand d'Oswiecim [nom polonais d'Auschwitz] impose à la communauté juive de la ville de fournir trois cents travailleurs. Ensuite, le travail sera effectué par les premiers internés. De la dureté souvent mortelle de ce travail atteste l'installation en juillet d'un premier crématoire commandé à la firme Topf & Sohne d'Erfurt. Les corps de ceux qui meurent dans les premiers temps de la construction du camp y sont brûlés à partir du 15 août. En septembre 1940, Oswald Pohl, l'homme qui a joué un rôle décisif pour mettre au service des entreprises de la Politische Abteilung (la Gestapo) les détenus des camps de concentration, est à Auschwitz. Cette visite signe la double finalité du camp de concentration d'Auschwitz: un lieu destiné à porter la terreur parmi les populations polonaises, à la décapiter de ses élites; mais aussi un lieu où l'on pourra concentrer une main-d'oeuvre servile à des fins économiques. Ainsi fut créée une vaste zone, dite "zone d'intérêts du camp", d'une quarantaine de kilomètres carrés, entre la Vistule et la Sola, qui englobait un certain nombre de villages, dont la population fut expulsée, et qui devait comporter des établissements agricoles et industriels. Nous ne détaillerons pas ici les aménagements ou réaménagements incessants de l'ancien centre de migrants temporaires, gigantesque chantier jamais achevé. Ce serait fastidieux. En 1942, quelque huit mille détenus y sont employés, en 1943, onze mille. Ils sont encore quatre mille en 1944. Au point d'ailleurs que sera créée une "école de maçonnerie" où seront affectés de très jeunes déportés. [...] Disons simplement que les quatorze bâtiments en brique à un étage sur les vingt-deux – ce que l'on appellera dans le jargon du camp les "Blocks" – se voient rehausser d'un second étage, atteignant ainsi la même hauteur que les autres; que huit autres Blocks sont construits; que des installations existant dans tous les camps de concentration sont érigées : une place d'appel, les locaux de la Politische Abteilung, des cuisines, des douches, une prison, un crématoire comme nous l'avons déjà signalé. Mais encore des clôtures de barbelés électrifiés, des allées, des routes...La prison est installée dans ce qui sera le Block 11, dont les fenêtres ont été masquées par des lattes. C'est un des passages obligés de toute visite à Auschwitz. Au premier et au second étage du Block, d'immenses cellules où on entassait souvent plus de cent personnes. Dans la cave, de très petites cellules sans lumière, certaines si basses que l'on ne pouvait s'y tenir debout, donnent sur un étroit couloir. Dans son témoignage, rédigé alors qu'il était prisonnier des Britanniques en 1945 et qu'il a remis à ces derniers, le SS Pery Broad, qui travailla à Auschwitz à la Politische Abteilung, raconte comment, chaque samedi matin, on "nettoyait" ou "vidangeait" les Bunkers, ces cellules-prisons ménagées dans les caves du Block 11. Après une brève conférence où sont examinés les rapports sur les détenus, la commission conduite par le chef du camp d'Auschwitz, composée d'un médecin et de chefs de Block, descend dans les caves. En sont extraits les détenus condamnés à mort. On les conduit dans une salle de lavabos, située au rez-de-chaussée du bâtiment, où ils se déshabillent. Sur le torse nu, un interné inscrit au crayon à encre, en très gros, le numéro d'immatriculation afin de faciliter ensuite l'enregistrement du cadavre. Ce n'est effet qu'après mars 1942 que les matricules des détenus seront tatoués dans la chair des internés. Puis ils sont conduits devant le mur en brique qui sépare le Block 11 du Block 10, sur lequel un écran noir a été adossé. Un détenu amène les victimes qui sont fusillées d'une balle dans la nuque, le visage tourné vers l'écran noir. Selon Pery Broad, " la plupart de ces squelettes vivants tiennent à peine debout, ayant passé de longs mois dans des cachots puants, dans des conditions insupportables, même pour une bête. Et pourtant, il y en a beaucoup qui trouvent encore la force de crier "Vive la Pologne!" ou "Vive la liberté!" Des détenus circulant au pas de course avec des brancards y déposent les cadavres qu'ils entassent ensuite à l'autre bout de la cour avant de les transporter au crématoire.



Annette Wieviorka est directrice de recherche au CNRS. Elle a été membre de la Mission d'étude sur la spoliation des biens des Juifs de France. Elle est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'histoire des Juifs au XXe siècle, sur le Génocide et sa mémoire, notamment "Déportation et génocide" (1992, 1995, 2000), "L'Ére du témoin" (1998, 2000) et "Auschwitz expliqué à ma fille" (1999), qui a été traduit dans une douzaine de langues.


Le 27 janvier 2005 seront commémorés les soixante ans de l'ouverture du camp d'Auschwitz par l'Armée rouge.

Auschwitz, qui résume en un lieu et en un nom la criminalité du régime nazi, est aujourd'hui illisible: il est devenu une sorte d'écran où individus et collectivités projettent leurs cauchemars ou leurs rêves. Visites de représentants de l'Église, d'hommes d'État, d'individus sur les traces d'un proche: il semble que tous ces pèlerinages, ces discours, ces commémorations ont blasé nos contemporains et brouillé la réalité du camp d'Auschwitz-Birkenau, déconnecté de son histoire pour devenir un concept, un symbole ou le tremplin d'une conscience européenne. Rendre Auschwitz à l'Histoire c'est, loin de le ranger dans un tiroir, le rendre à sa réalité, reconstituer ce qu'il fut, ce que fut son évolution, mais aussi, par là même, comprendre les enjeux des polémiques qui naissent autour de sa mémoire. C'est encore donner un sens au camp-musée qu'il est devenu en interrogeant et en restituant précisément l'histoire des vestiges autour duquel il a été conçu: la découverte du camp par les soldats de l'Armée rouge, sa construction en fonction de la population à laquelle il a d'abord été destiné, celle de l'énorme complexe de destruction de Birkenau où un million de Juifs furent assassinés, la signification du numéro matricule tatoué, etc.Alors qu'abondent les études évoquant tel ou tel aspect de la Shoah, que les témoignages de survivants se multiplient, ce livre d'Annette Wieviorka est le premier ouvrage français retraçant l'histoire du complexe de camps d'Auschwitz.